L'accouchement serein de Flo SD
Les récits d'accouchement commencent souvent par les contractions, les horaires, les "il va falloir partir". Ce ne sera pas le cas. Parce que mes enfants sont toujours en retard, qu'il faut toujours aller les chercher à coup d'hormone, de perf, de cyto comme ils disent.
Tibère avait dix jours de retard.
Mon mari m'avait bénie pour que je rencontre des gens qui sauraient être à
l'écoute. Et j'étais là, à huit heure du matin à attendre qu'on déclenche mon
accouchement, on m'avait déjà posé le monitoring. J'ai mis ma main sur mon
ventre et j'ai parlé à mon enfant comme je le faisais rarement. "Tu as une
chance que ça se passe naturellement et c'est maintenant". Et la première
contraction est arrivée. J’étais sereine. L’idée que mon corps était prévu pour
cet accouchement m’habitait.
Malgré
un travail en route, des contractions rapprochées et régulières, la sage femme,
qui avait réquisitionné une salle de naissance pour moi a lancé la procédure.
L'hôpital de Marseille Nord est une usine à bébé, il faut que ça tourne. Le
ballon, il n’y en avait pas. Grosse déception.
"L'anesthésiste
arrive pour la péridurale. Ensuite je déclenche,
on ne pourra pas revenir en arrière".
Je lui demande de ne pas me mettre la péridurale.
Elle est surprise, m'envoie une de ses collègues
pour que je puisse prendre une décision
éclairée.
Je ne le savais pas encore, mais j'avais affaire à
une formatée de la technicité.
Et pour moi elle allait renoncer pas après
pas à ce qu'elle avait l'habitude de faire.
Avec le sourire, avec gentillesse.
Il est dix heures, elle installe la
perfusion d'hormones. Je me mets en tailleur, je visualise un cercle qui s'élargit,
je souffle, je bouge, je m'enroule sur moi-même.
Je devrais me tordre de douleur. Il n'en est rien. Je doute même
de l'efficacité du produit. Je m'endors même
pendant dix minutes.
Sur le monitoring, on verra les contractions, ainsi que le
rythme fœtal beaucoup plus régulier.
Tibère aurait-il dormi avec moi ?
Midi, le col n'est ouvert qu'à
trois.
La sage-femme est déçue. La poche des eaux
peut tout juste être rompue artificiellement. Et c'est
ce qu'elle fait. Le liquide coule abondamment, sa chaleur me surprend. La
contraction qui suit est monstrueuse. Je m'accroupis, je teste tout ce qui me
vient à l'esprit.
Pour une contraction, ce
sera écarter les cuisses jusqu'à
l'extrême limite, pour une autre ce sera me
courber en avant, une autre encore sera calmée
avec le clitoris (j'étais toute seule à
ce moment).
Chacune d'entre elles est une lutte contre la douleur et parce que
ce serait trop simple sinon, ce qui a marché
pour la précédente
ne marche plus pour la suivante. Je souffle, je me frotte les bras, chassant
mentalement la souffrance, je visualise la naissance. C'est dur, mais je sens
que je peux y arriver.
J'envoie mon mari manger, parce qu'ici il ne me sert à
rien. J'ai envie d'être seule.
Ma blouse
m'entrave, la perf m'entrave, j'ai juste envie qu'on éteigne
ces néons, qu'on ne rentre pas comme dans un
moulin. Une infirmière passe "mais
vous avez le droit d'être debout ?!"
s'alarme-t-elle. Je souris, bien sûr
j'ai le droit.
Une heure de l'après-midi,
le verdict tombe. Je suis ouverte à
4. Je ne me vois pas passer les six prochaines heures dans cet état
de souffrance. Je capitule. J'ai joué,
j'ai perdu. Filez-moi cette fichue péridurale.
Et comme j'ai très très
mal, j'indique poliment que je vais hurler et peut-être
même dire plein de gros mots. Je pose mes
mains sur le lit et hurle tout ce que j'ai dans les poumons. C'est une note
grave. C'est le cri qu'on pousserait pour déplacer
un rocher. Et ça marche, la douleur disparait.
Et j'ai recommencé,
encore et encore, toutes les contractions. Ce qui a poussé
une sage-femme a renvoyé l'anesthésiste
qui venait pour sa patiente "Faites la dame de la 32, elle a l'air d'en
avoir plus besoin que la mienne".
Chaque contraction est vécue
comme la dernière, avec l'espoir qu'après
celle-là, il n'y en aura plus. Ils mettront
vingt minutes à venir, vingt autres à
installer leur truc. Mes cris font peur, on me demande d'arrêter.
On me parle comme à un enfant. "Tenez-lui les mains,
elle pourrait se redresser. Même quand on leur dit
de bien se courber, parfois inconsciemment elles désobéissent".
La colère monte en moi. Je réponds.
Méchamment. On me crie dessus.
On me demande de décliner
mon état civil. Je sais parce qu'on me l'a
enseigné que c'est une technique destinée
à faire retourner l'interlocuteur dans
un mode non émotionnel.
Parenthèse
à part : Une femme qui accouche doit être
laissée dans l'émotionnel,
dans l'animal. Le cerveau rationnel empêche
ses instincts. Ce n'est pas le moment de lui demander
quel est son métier.
Je dois reconnaitre cependant que j'ai éprouvé
une certaine satisfaction à leur rappeler que ce
n'était pas mon premier et que j'avais
fait plus d'études qu'eux tous à
l'exception de l'anesthésiste. Ils changent
d'attitude. Pourquoi mériterais-je plus de
respect pour une histoire de diplôme
? L'assistant qui commence à me déballer
son parcours me les brise sévère.
Il me conseille de souffler profondément
et doucement, me parle de sophrologie. Je m'exécute,
tout en gardant pour moi mes considérations
sur les hommes qui se permettent de donner leurs "astuces pour
l'accouchement". Je me vide les poumons, mais en silence cette fois. C'est
presque aussi efficace que le cri.
Ils prennent leur temps, posent le champ, me
badigeonnent le dos de Bétadine. Les
contractions viennent perturber leur organisation. Enfin la péridurale
est posée, on me dit de m'allonger. La
contraction est absolument insupportable dans cette position, je peux souffler,
rien n'y fait, je tente de me redresser, ils me plaquent sur la table.
J'ai alors envie d'aller aux toilettes.
Bien sûr, je sais ce que ça
veut dire. C'est pour bientôt et la péridurale
ne fait toujours pas effet. "Dans quinze petites minutes" me dit
l'anesthésiste d'un ton guilleret. Je les hais
tous. Je me souviens parfaitement que c'est la cause de mon lâcher
prise total, f**k les convenances. Je suis entourée
par plein de monde, à moitié
à poil. L'idée
de les emmerder au sens littéral du terme est carrément
géniale. A partir de ce moment, j'ai plus
eu le sentiment d'être moi-même.
J'étais prise dans une course, le cerveau à
l'envers. La sage-femme panique, sort du matériel,
monte les étriers. Et moi je m'en fiche, il va
sortir, je pense "plus jamais, je ne veux plus jamais accoucher". Je
secoue la tête, me débat,
je crie, je supplie. Mon mari vient de rentrer, il parait que j'ai prié
pour que ça s'arrête,
pour avoir la force. J'avais l'étrange impression d'être
en train de mentir. Je disais "je vais mourir", et je pensais
"mais tu sais bien que c'est faux, pourquoi tu le dis alors. Ca doit être
ça la désespérance".
Je me sens alors puissante. Vraiment. Je sais que c'est la fin et je suis
pleine d'énergie. La contraction arrive, l'envie
de pousser est impérieuse, je pousse de toute mes forces,
allongée sur le dos, les pieds dans ces fichus
étriers. Si je n’avais
pas été
tenue allongée sur cette table, j’aurais
fait ça debout. Je crie parce qu'ils ne m'en
empêcheront pas, parce que j'ai autre chose
à faire que de me soucier de quoi j'ai
l'air. Je demande si je peux me mettre sur le coté,
je vois la tête paniquée
de la sage femme qui a juste eu le temps d’ouvrir
un kit « Je ne saurais pas gérer »,
avoue-t-elle. Tant pis, ce sera sur le dos et franchement, ils m’auraient
imposé la tête
en bas, ça aurait été
pareil, je me sentais l’âme d’un
canon à bébé.
Je sens cette tête qui passe, ça
brule, mais ce n'est rien en comparaison du soulagement que procure la poussée.
La contraction s'arrête, j'arrête
de pousser. La sage-femme insiste "il a la tête
dans votre vagin et il n'aime pas ça
du tout, il faut pousser". Why not ? Je pousse un peu, ça
fait mal et ça ne sert à
rien. J'arrête. Contraction suivante. Elle sort ses
ciseaux. "Coupez pas, si ça déchire
un peu c'est pas grave". Je la vois poser lentement son truc. Un genre de
"OK, c'est vous qui voyez". Je pousse, la tête
sort et là... Les épaules
arrivent. Je les sens et ça fait vraiment super
mal. SBLAF, il sort.
Il est méga moche.
Je l'aime.
Il est deux heure dix.
Il est méga moche.
Je l'aime.
Il est deux heure dix.
Pas de déchirure.
La suite, je ne sais plus. Ils l’ont
manipulé, me l'ont rendu, je l'ai laissé
ramper laborieusement jusqu'à mon sein, il a tété.
On est resté tout nu l'un contre l'autre pendant un
moment avec un drap dessus. Entre temps le placenta sortait tout seul.
Fastoche. J’ai mon petit garçon,
le monde disparait autour de moi. "Oh, j'ai l'impression que c'est lui qui
me réchauffe". La sage-femme passe,
repasse, règle les soucis de caillot (andouille de
péridurale qui aura juste fait effet pour
me paralyser la vessie trente minutes après
la guerre). A quatre heure, une de ses collègues
l'enverra manger. La pauvre, depuis sept heures elle cavalait partout, sans
pause déjeuner.
Je ne saurais jamais si sans rupture
artificielle de la poche des eaux je suis capable d'accoucher sans supplier
pour une péridurale. Mais je dois dire, que cet
accouchement a été
vraiment différent de mon premier accouchement. J'étais
active. J’ai vu à
quel point mon corps était une machine de
guerre. A quel point tout est fait pour ça.
Je n’avais pas peur, je n’étais
pas perdue. Je savais toujours quoi faire. J’aurais
pu être seule. J’aurais
préféré
à bien des égards
d’ailleurs. J’aurais
voulu me transformer en loup garou, me terrer dans mon terrier.
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